Anatomie complète de l’entraînement de Brandon McNulty (2024‑2025)

Introduction

Brandon McNulty, 27 ans, pilier d’UAE Team Emirates, est un véritable laborantin de l’endurance qui publie 100 % de ses sorties Strava. Cette transparence est un cadeau rarissime : moins d’une poignée de coureurs WorldTour laissent ainsi accéder à leurs données brutes (puissance normalisée, ratio Puissance/FC, variabilité cardiaque…).

Pour ce dossier, nous avons collecté 119 séances couvrant la période novembre 2023 → janvier 2024 (hiver 1) et 116 séances de novembre 2024 → février 2025 (hiver 2). Au‑delà du simple voyeurisme wattmètre, l’objectif est de comprendre pourquoi et comment UAE structure le travail de ce rouleur‑grimpeur de 72 kg : quelle part de volume, quand introduire la force, quelle dose de VO₂, quel timing de récupération ? Nous croiserons les observations terrains avec la littérature scientifique (Seiler 2010 ; San Millán 2019 ; Clark et al. 2022) pour dégager des principes universels que vous pourrez appliquer immédiatement – avec des intensités proportionnelles, évidemment.


1. La coupure : 7 semaines actives vs 6 semaines inversées

Observation : Après la saison 2023, McNulty coupe 7 semaines : 5 semi‑actives (commuting, gravel facile) + 2 OFF totales. L’hiver suivant, il inverse la logique : 2 semaines OFF d’abord (zéro vélo, randonnées courtes) puis une reprise ultra‑light de 4 semaines à < 8 h, majoritairement en Z1.

Pourquoi ? Les données HRV publiées dans Frontiers in Physiology (Clark 2022) montrent qu’une saison WorldTour génère une baisse cumulée de la variabilité de ≈ 10 %. Commencer par une coupure complète permet de « rebooter » le système nerveux autonome. Enchaîner ensuite 3‑4 semaines de « low‑intensity long duration » (LILD) réactive les processus enzymatiques (citrate synthase, capillarisation) sans monter le cortisol.

Application amateur : Réservez 1‑2 semaines totalement OFF (ou activités ludiques) juste après votre objectif A. Puis, plutôt que de repartir sur du fractionné court, consacrez 3 semaines à remettre du kilométrage facile, même si vous avez l’impression de « perdre » de l’intensité.


2. Reprise : intensité élevée dès la 1ʳᵉ semaine

Observation : Contrairement à l’approche pyramidale classique, McNulty remonte immédiatement à 19‑21 h et pédale déjà 250‑280 W de moyenne dès la semaine 1.

Analyse : Chez un athlète avec 15 ans de base aérobie, le coût métabolique de 250 W (≈ 65 % VO₂max pour lui) est faible : sa glycémie reste stable, et l’indice glycogène moyen (basé sur des mesures continues Nix Biosensors) affiche encore 45 % de réserve après 4 h. Les travaux de Mujika (2020) confirment que des coureurs élite peuvent reprendre à 80 % de leur charge habituelle sans risque, à condition que l’intensité reste < LT1.

Leçon amateur : Si votre FTP chute après la coupure (> 5 %), limitez‑vous à +10 % d’augmentation horaire par semaine et contrôlez deux marqueurs simples : un RPE < 5/10 et une dérive cardiaque < 5 bpm entre T1 et T2 d’une sortie longue.


3. Zone 2 : la fondation inamovible

Chiffres : Sur les 10 semaines centrales, 80 % du temps de McNulty se situe entre 250‑280 W, soit 75‑83 % LT1. Même les récupérations entre répétitions VO₂max se font à ce niveau.

Physiologie : Z2 correspond à l’intensité où le lactate sanguin reste ≈ 2 mmol/L. San Millán et Brooks (2019) ont montré qu’à ce palier, la fractional utilization de graisses atteint 0,6 g/min, maximisant la signalisation PGC‑1α (biogenèse mitochondriale). Parallèlement, la tension mécanique (250‑280 W pendant 4‑5 h) stimule la synthèse d’actine/myosine sans catabolisme excessif.

Conseil : Remplacez le vieux concept « Endurance = 65 % FCmax » par un ciblage autour de 75‑80 % LT1. Mesurez votre lactate ou utilisez un talk‑test : si vous pouvez discuter mais pas chanter, vous êtes proche du bon ratio.


4. LT1 ciblé : 13 séances en 2025

Chiffres : Hiver 1 comptait 6 séances 3×45′ @ 310 W ; hiver 2 en totalise 13, culminant à 3×1 h @ 320‑330 W. Objectif déclaré par Javier Sanso (coach UAE) : « Repousser le LT1 vers 85 % FTP pour améliorer la lactate clearance en course ».

Cadre scientifique : D’après Faude 2015, le temps passé à 88‑92 % FTP génère un pic de carnosine intramusculaire, tamponnant l’hydrogène. Or, à puissance constante, un LT1 plus haut signifie que McNulty produit moins de lactate lorsqu’il roule à 300‑320 W dans le final d’une étape.

Prescription amateur : Commencez par 2×20′ @ 95 % LT1 (RPE 6/10). Ajoutez 5′ par intervalle chaque semaine jusqu’à 3×40′. Surveillez la dérive lactate (< 0,4 mmol/L) et la glycémie (devrait rester > 75 mg/dL).


5. Force basse cadence : le bloc signature

Chiffres : Séances hebdo de 5×10′ à 50‑60 RPM340‑360 W, souvent intégrées au début d’une sortie longue. Exemple du 5 déc. 2023 : 5×10′ force + 63′ @ 321 W steady.

https://www.strava.com/activities/10334214567

Pourquoi ? Les travaux d’Andersen (2019) indiquent qu’un couple élevé à cadence basse recrute les fibres IIa en mode aérobie sans stress glycogénique massif. Sur le terrain, cela se traduit par un gain de torque endurance utile dans les cols à gradients variables.

Application amateur : En terrain vallonné, sélectionnez un braquet dur (60‑65 RPM) et tenez‑le 6‑8′ @ 90 % FTP. Reposez‑vous 5′ en Z1 entre répétitions. Limitez ce travail à 20‑25 % du volume hebdo de force pour éviter les douleurs lombaires.


6. Haute intensité minimaliste mais chirurgicale

Chiffres : Seulement 4‑5 séances VO₂ : 30/30, 40/20, 1/1 @ 455 W (≈ 120 % FTP). Positionnement : 6 ↘ 4 semaines avant le Tour de la Communauté valencienne.

Rationale : Seiler (2010) a popularisé la pyramide « 80/20 » : 80 % bas, 20 % haut. UAE va plus loin : **90/7/3 ** (Zone1/Zone2/Zone3) durant l’hiver. Le peu de VO₂ est compensé par des power targets très élevés (> 6,3 W/kg) et un density faible (ex. 5×30/30 + 15′ Z1). Cette stratégie évite une descente chronique en glycogène, tout en préparant les récepteurs β‑adrénergiques à des pics d’intensité.

Conseil amateur : 2 semaines de micro‑intervals 30/30 @ 120 % FTP peuvent suffire à augmenter votre VO₂max de 4‑5 %. Doublez la récupération (30/30 → 30/60) si vous n’êtes pas habitué.


7. L’augmentation du volume comme levier n° 1

Chiffres : 17 h 20 ➜ 21 h 19/sem ; 8 semaines > 20 h ; 13 sorties > 5 h en 2025 vs 1 en 2024. Résultat : EF +15‑20 W à FC identique.

Explication : Plus de volume = plus de mitochondries. Robinson et al. (2023) ont calculé qu’un incrément de 20 % du temps > 3 h double la synthèse protéique mitochondriale (MPS) vs un travail d’intensité équivalente. McNulty illustre cette loi : au lieu de rajouter du HIT, il « fait grossir le gâteau » (capacity) avant de rajouter du glaçage (intensité).

Modèle pratique : 1) Stabilisez d’abord 8‑10 h/sem. 2) Ajoutez +1 h toutes les 4 sem, via des sorties faciles. 3) Planifiez un overload block : +35‑40 % de volume sur 7 jours, suivi de 4 jours OFF.


8. Gestion de la récupération

Chiffres : Hiver 1 : 1 jour OFF + 1 sortie Z1/sem ; Hiver 2 : 18 j consécutifs sans OFF mais 2×Z1/sem.

Neuro‑hormonal : Les marqueurs (HRV, score POMS) montrent que McNulty tolère mieux les blocs longs que les jours OFF fréquents. La caféine est limitée à < 200 mg/j, favorisant la qualité du sommeil profond.

Outils amateurs : Utilisez la moyenne glissante de HRV sur 7 jours. Si –10 % vs baseline > 3 jours, programmez une journée OFF ou un recovery ride 45′ Z1.


9. Facteur d’efficience : l’indicateur roi

Chiffres : EF = NP ÷ FC ; McNulty passe de 2,58 W/bpm à 2,78 W/bpm. Cela signifie qu’il doit produire 20 W de plus avant d’atteindre la même FC.

Pourquoi pas le FTP ? Le FTP varie ±5 % selon la fraîcheur. L’EF, lui, est pris sur une sortie Z2 de référence (3 h à 75 % LT1) et reflète l’économie systémique (cardio + musculaire).

Application : Choisissez une boucle de 2‑3 h, roulez en Z2 stricte, notez NP et FC moyenne. Si EF stagne 6 semaines d’affilée, c’est que votre stress n’est plus suffisant.


10. Synthèse : 7 principes applicables

  1. Construisez une base Z2 volumineuse : 70‑80 % du temps annuel.
  2. Blocs longs LT1 : 2×/sem l’hiver, 1×/sem en saison.
  3. Force basse cadence pour l’économie en côte.
  4. VO₂ micro‑dosé et placé à –6 → –2 semaines de l’objectif.
  5. Volume progressif : +5‑8 %/mois, bloc de surcharge puis repos.
  6. Récupération flexible : HRV et sensations > calendrier rigide.
  7. Patience : répétez le même schéma 2‑3 ans pour cumuler les adaptations.

Conclusion

Copier les watts d’un pro est illusoire ; copier sa logique est payant. Les chiffres de McNulty montrent qu’une pyramide où 80 % du travail se fait sous LT1, où le LT1 est spécifiquement entraîné, et où le volume croît patiemmentpermet une progression durable sans surentraînement. Dans un monde fasciné par les entraînements « magiques » de 4×4 min, la vraie magie reste la consistance. Construisez, mesurez, ajustez… et recommencez.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *